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Le journalisme fiable a besoin d’un nouveau modèle d’affaires

23 janvier 2019

Les médias sont définis comme les moyens ou les canaux de communication dans une société. Auparavant, il était assez simple de faire la différence entre les médias et le reste. Par exemple, si vous regardiez la télévision, vous étiez en train de consommer un média. De plus, la conversation que vous aviez au bar sportif entre amis n’était certainement pas considérée comme un média. La distinction, qui jadis existait entre ces deux situations, est pratiquement inexistante aujourd’hui. Ce changement s’explique par le fait que nous avons tous des appareils dans nos poches qui nous permettent d’être de petits empires médiatiques sans aucun contrôleur d’accès. Dans certains cas, le mot «petit ne s’applique pas vraiment. Un tout nouveau type de média peut ressortir d’une situation aussi banale qu’une discussion entre gars à propos de sports dans un bar.

La tendance est claire. Les médias sont devenus complètement fragmentés et les modèles traditionnels ne fonctionnent plus. Les responsables de la technologie et les investisseurs comprennent très bien que les médias se sont transformés grâce aux technologies de la communication. Cependant, plusieurs gens à qui je parle lesquels oeuvrent dans le domaine des médias semblent figés dans l’ancien monde – réticents et parfois incapables d’accepter cette réalité.

La publicité adressable est la norme

Lorsque j’ai fait mes débuts dans les médias en 2004, il y avait une nouvelle grande tendance: la télévision adressable. Elle présentait l’opportunité de proposer des publicités télévisées à des audiences ciblées, réduisant ainsi le gaspillage et augmentant l’efficacité. Bien que ce soit une promesse lointaine pour la télévision, cette réalité s’est concrétisée pour la publicité en ligne. La portée et les capacités de ciblage de la publicité en ligne sont aujourd’hui incomparables. Cela s’explique en grande partie par les effets sur le réseau de données des deux grandes plates-formes technologiques, c’est à dire Google et Facebook.

Ceci est un rêve devenu réalité pour les spécialistes du marketing dont l’accès à des profils d’utilisateurs à l’échelle mondiale leur permet d’adresser des audiences ciblées qu’ils souhaitent atteindre. Sans trop rentrer dans les détails techniques, l’avance dont bénéficient ces plates-formes est presque insurmontable en raison des algorithmes d’apprentissage automatisés. Plus de données signifie un meilleur ciblage. Ainsi, les entreprises qui ont déjà beaucoup de données deviendront encore plus fortes. Bien que ça ne s’applique pas nécessairement à d’autres domaines, cela leur donne un pas d’avance dans leur champ d’expertise principal, le ciblage en ligne.

Tout cela n’est pas nouveau. Il y a des années que la lutte pour les fonds publicitaires en ligne a été gagnée. Nous ne vivons que dans la période transitoire où tous les dollars consacrés à la publicité évolueront lentement pour devenir adressables.

La publicité elle même a changé

La nature même de ce qui fonctionne dans la publicité, traverse une période transitoire. Elle commence à ressembler à une haltère, lourdement pondérée aux deux extrémités et sans rien entre les deux. D’un côté, vous trouvez un ciblage sophistiqué sur de grandes plates-formes telles que Google et Facebook. Une mention honorable va également à Amazon dont la plate-forme publicitaire se développe à très grande vitesse. D’autre part, vous trouvez des commandites et des achats de marques qui prennent de nombreuses formes, telles que le placement de produits ou le contenu commandité.

Ce qui ne fonctionne plus, ce sont les modèles intermédiaires qui tentent d’être haut de gamme et ciblés. La publicité télévisée est un bon exemple d’un média en déclin. Netflix est devenu le système d’exploitation de nos téléviseurs. La période des fêtes qui vient de se terminer est une bonne indication de la domination de l’entreprise. Les discussions autour du divertissement ont porté sur BirdBox, Roma et Black Mirror, tous des programmes originaux de Netflix. Il est estimé que Netflix représente déjà 10% du temps d’écoute de télévision aux États-Unis.

Le problème plus général est que la publicité basée sur l’interruption est en baisse. Cette perte d’efficacité déplace l’investissement publicitaire vers les extrêmes. Tout ce qui est pris entre les deux comme les achats publicitaires dans les journaux, la radio et la télévision perd de l’importance pour les dirigeants qui décident de l’allocation de l’investissement marketing.

Les nouvelles en valent la peine

Ce qui est potentiellement plus difficile à comprendre, c’est l’impact sociétal massif que cela provoque. Le modèle commercial fondamental du journalisme est basé sur la publicité et on leur a coupé l’herbe sous le pied. Certains éditeurs surmontent ce déficit stratégique. De nombreux articles ont été écrits sur la façon dont le New York Times et le Washington Post ont réussi à modifier la construction de modèles commerciaux différenciés par l’entremise des abonnements. Bien que ces réalisations soient louables, d’autres entreprises médiatiques semblent l’ignorer à leurs propres risques et périls. La vérité est que se concentrer sur la publicité et l’analyse de données n’est plus viable. Les modèles commerciaux inventés avant l’Internet ne sont plus cohérents avec l’économie actuelle. Chaque nouveau VP marketing chargé d’un budget n’a qu’une responsabilité fiduciaire: augmenter les revenus et les bénéfices de la marque pour laquelle il travaille. Aider le journalisme était un heureux produit dérivé, aujourd’hui il en est la victime. Réclamer le contraire n’est qu’une vision à court terme.

Dans cette nouvelle réalité, la plupart des éditeurs ont compris qu’ils ne sont pas sortis de l’auberge. Même les récentes mesures annoncées par le gouvernement canadien pour aider les journaux ne sont pas suffisantes. Une seule injection de fonds publics est certes un soulagement bienvenu pour les éditeurs, mais ne va pas au coeur du problème. Le journalisme ne peut plus être soutenu uniquement par la publicité.

Quel est le métier de journaliste?

Le débat sans fin autour des murs payants, de l’accès gratuit ou des dons de lecteurs passe à côté d’un point important. Si un modèle soutenable n’est pas bientôt trouvé, le temps de l’expérimentation disparaîtra. J’imagine que c’est déjà la priorité absolue de toutes les organisations journalistiques. Sinon, ça devrait l’être.

Un avertissement clair est que même les médias numériques natifs comme Vice, Buzzfeed, Mic et Gizmodo luttent actuellement pour accroître leurs revenus. Soit vous faites partie des écosystèmes publicitaires Google et Facebook, soit vous êtes en difficulté.

Cela pose la question suivante: quel est le véritable métier du journalisme? Il ne s’agit pas de fournir aux annonceurs un moyen d’atteindre leur «public cible», mais plutôt de servir les citoyens dans une société démocratique et de leur donner la parole. De fait, il est plus logique d’aligner la génération de revenus avec les lecteurs. Cela permettra aux entreprises de médias d’exposer la criminalité d’entreprise même si ces dernières sont de grands annonceurs.

Un journalisme fiable a besoin d’un nouveau modèle économique

La publicité traditionnelle ne disparaîtra pas du jour au lendemain, car de nombreuses marques continueront d’investir dans les médias traditionnels. Cependant, la priorité absolue devrait être de remplacer la publicité en tant que principale source de revenus. On peut donc se poser la question suivante: comment y arriver? Il n’y a pas de réponse définitive et je ne peux certainement pas prétendre connaître la réponse à un problème auquel sont confrontés des gens plus intelligents que moi. Je peux alimenter le débat en affirmant qu’il n’y a qu’une seule voie à suivre soit l’expérimentation constante et l’itération pour générer de multiples sources de revenus. Prenez par exemple l’approche du Guardian qui collecte des dons de ses lecteurs ou celle de Forbes qui a annoncé récemment effectuer un test avec la technologie de “blockchain”.

Le partenariat avec les géants de la technologie suscite beaucoup de scepticisme, ce qui est, bien sûr, justifié. Néanmoins, les annonces récentes de Facebook et de l’initiative Google Actualités semblent être de véritables projets de soutien au journalisme indépendant. Un cynique pourrait souligner le fait que ceux-ci sont motivés par des considérations politiques. Cela ne change rien au fait qu’il s’agit d’un rameau d’olivier et quelques exemples de réussite ont émergé.

Dans l’esprit d’aujourd’hui, la plupart des gens recherchent des sources d’informations fiables et dignes de confiance, sans vouloir être des profils ciblés. C’est un point important à retenir car beaucoup de gens sont prêts à payer pour. Les récents événements politiques démontrent l’importance du quatrième état dans une démocratie saine. Les responsables des médias et les journalistes eux-mêmes doivent en prendre note. Le seul moyen de surmonter ce changement systémique de l’industrie est de s’adapter en permanence. La recherche de diverses sources de revenus est non seulement louable, mais primordiale pour une société informée et consciente.